MailTape, lieu pour mélomane

Le concept de MailTape est très simple :

Un artiste sélectionne 3 titres de musique et en parle un peu plus.

Ça peut-être parce que ça lui rappelle un moment de sa vie, parce que ça lui permet de se réveiller en douceur, parce que c’est le meilleur morceau de son artiste favoris…

Le tout accompagné d’une jolie illustration, et de quelques autres morceaux découvert par l’équipe de MailTape. Et tous les dimanche matin il y a une nouvelle sélection.

Pour mieux te repérer tu peux naviguer entre différente ambiance « vibrant, bliss, trippy, dreamy and rough »

C’est un lieu de partage et de découverte, différent des plateformes et recommandations par algorithme omniprésent dans le paysage musical aujourd’hui.

Le projet est ficelé en indépendance par un collectif de curateurs, de « writers » et d’illustrateurs.

Je suis tombé dessus en découvrant le livre Déclic et son auteur Maxime, qui se trouve être l’initiateur de MailTape.

Du coup je lui ai posé quelques questions…

Qui es-tu ? Qu’est-ce que tu fais dans la vie de tous les jours ?

Merci pour l’invitation. Je m’appelle Maxime Guedj. J’ai 33 ans, je suis né à Toulouse et je vis à Pantin.

L’an dernier j’ai publié Déclic que j’ai eu le plaisir de co-écrire avec Anne-Sophie Jacques. En ce moment, je contribue activement à IndieHosters, j’accompagne également des organisations à résoudre des problématiques de stratégie et conception numérique à travers PCFH Studio et je concocte quelques épisodes MailTape de temps à autres.

Qu’est-ce qui t’as fait démarrer MailTape ?

Je désirais concevoir un espace dédié à la découverte musicale qui respecte à la fois les artistes et les auditeur·trice·s. Dès le départ je souhaitais que ce soit un espace d’expression libre où je pourrais partager des sélections musicales concoctées avec un·e·des invité·e·s sans aucune contrainte. Puis des ami·e·s m’ont rejoint, puis des auditeur·trice·s… La MailTape s’est transformée en un collectif et le concept d’un épisode chaque dimanche matin s’est pérennisé. Je la vois comme une œuvre artistique collective, on pourrait parler de  «dispositif curatorial » si l’on souhaitait être plus précis. Nous allons fêter nos 10 ans.

MailTape, c’est un collectif d’une vingtaine de personnes, avec des compétences diverses (écriture, illustration, sélection), réparties un peu partout dans le monde (France, Angleterre, Inde..). C’est des personnes que tu connaissais avant de lancer le projet ? Comment elles ont rejoint l’aventure ?

Au début, ce sont des amis qui ont rejoint l’aventure. Puis lorsque nous avons grandi, nous avons écrit directement à nos auditeur·trice·s et nous avons toujours reçu des candidatures étonnantes, pleines d’enthousiasme. De nouvelles amitiés ont pu ainsi naître et je crois qu’au fond c’est l’un des aspects qui m’amuse toujours autant dans ce projet, sa capacité à susciter des rencontres avec de très belles personnes inspirantes.

Vous avez déjà reçu plus de 400 artistes, j’imagine que ça demande une certaine  «logistique » pour arriver à sortir une sélection avec un invité tous les dimanches. Toi ou des personnes du collectif avez un réseau dans le monde de la musique ? Ou bien vous arrivez à trouver assez facilement des artistes qui sont prêts à partager et commenter leurs titres favoris ?

On avance à partir d’un tableau Trello (promis, bientôt on migre sur Nextcloud Deck !). Toutes les aides et documentations sont à disposition, chacun·e est autonome. On se fait pleinement confiance. Il n’y a personne pour discuter  «ligne éditoriale » ou  «valider » telle ou telle proposition/illustration/jenesaisquoi, chacun·e fait ce qu’il·elle a envie. La seule  «règle » c’est de faire les choses avec amour et sincérité. On a la plupart du temps plusieurs semaines d’avance et lorsqu’on rencontre des petites difficultés on s’entraide naturellement et ça roule.

Chaque curateur·trice a ses méthodes pour inviter des artistes, certain·e·s usent de leur réseau et d’autres tentent en direct. On reçoit beaucoup de sollicitations de labels et d’attaché·e·s de presse, personnellement j’évite la plupart du temps d’y répondre favorablement car ce qui m’excite avant tout c’est de dénicher des artistes qui ne sont pas encore (trop) repéré·e·s.

Décris-moi le processus de A à Z de création d’une sélection…

On envoie des propositions à des artistes, ceux.celles qui répondent favorablement nous envoient leur sélection, on travaille à la compléter sans jamais remettre en question leurs choix, puis on prépare l’épisode, l’illustration, le texte, on diffuse…

Tout est fait à la main sur MailTape, c’est quelque chose de très humain. Tu penses quoi de l’utilisation d’algorithme pour faire de la recommandation musicale (comme le font par exemple Spotify ou Deezer) ? Qu’est-ce que peut faire un être humain que ne peut pas faire un algorithme ? Est-ce qu’il y a un truc sur lesquels les algorithmes sont meilleurs dans le contexte de la recommandation musicale ?

Les algorithmes peuvent s’avérer être de bon compagnons de route pour trouver de nouveaux·elles artistes. Il m’est souvent arrivé d’utiliser Last.fm ou les propositions de Youtube ou encore SoundCloud fut un temps. Mais ils ont le défaut de leur avantage : ils ont tendance à tourner en rond et à devenir prévisibles à la longue.

Au regard de ce constat, un travail de curation musicale opéré par une personne en chair et en os peut s’avérer bien plus surprenant et intéressant. On peut décider de sortir du cadre quand on le souhaite. On peut soudainement décider de s’intéresser à la musique nigérienne des années 70, après avoir écouté de l’électro anglaise pendant des années, par exemple. Et puis, il y a quelque chose de profondément subjectif dans la façon de chacun·e de choisir de la musique, et cet aspect évolue avec le temps. C’est pour cela que je parlais notamment d’œuvre artistique collective en parlant de la MailTape. Si j’écoute un épisode que j’ai conçu il y a 7 ans, je n’ai pas forcément les mêmes aspirations musicales aujourd’hui. Ces épisodes deviennent en quelque sorte des machines à remonter le temps et puis il y a les souvenirs que chacun·e des auditeur·trice·s vont y associer.

Je crois qu’il y a aussi quelque chose de l’ordre de la convivialité qui relie ceux·celles qui sélectionnent et ceux·celles qui écoutent et découvrent de nouveaux sons. Lorsque des auditeur·trice·s viennent sur la MailTape, il·elle·s savent que ces épisodes sont conçus avec générosité et je crois que ça oriente l’expérience d’écoute.

Enfin, pour les curateur·trice·s que nous sommes, c’est une formidable motivation pour chercher à découvrir de nouveaux·elles artistes et ne jamais risquer de nous engourdir les oreilles.

Vous avez organisé des petites soirées les  «MailTape Live » dans des bars/restaurant. Comment c’était de rencontrer les personnes qui écoutent tous les dimanches vos sélections ?

Vivement qu’on puisse remettre ça, c’est tellement joyeux ! On rêve d’ailleurs un jour d’organiser un mini festival mais pour ça il va falloir encore attendre un peu vu le contexte sanitaire (et aussi être un peu plus nombreux·se·s de notre côté).

Tu as une idée du nombre de personnes qui suivent vos sélections musicales ?

Quelques milliers de personnes, dix milles tout au plus. Certaines nous écoutent depuis des années chaque dimanche sans rater un seul épisode.

D’ailleurs comment vous avez fait connaître le projet ?

Bouche à oreille ? Nous avons fait assez peu de ce côté pour tout dire.
Personnellement, j’ai appris à oublier cet aspect dans le cadre de la MailTape et c’est très libérateur. Il faut dire aussi que le projet a été pensé pour permettre de conserver cette liberté et ne jamais se sentir pressurisé par la dictature du like et des followers.

« Il faut dire aussi que le projet a été pensé pour permettre de conserver cette liberté et ne jamais se sentir pressurisé par la dictature du like et des followers »« 

MailTape c’est une newsletter depuis 2011, en parallèle vous êtes aussi sur les réseaux sociaux. Quel est ton sentiment sur le format newsletter ? Comment tu trouves ça par rapport aux réseaux sociaux ?

La newsletter est la meilleure façon d’assurer la pérennité du lien avec ta communauté. Et peut-être Mastodon aussi vu qu’il n’y a pas d’intermédiaire mais on manque de recul pour être aussi affirmatif.
L’avenir nous le dira.

Vous n’affichez pas de pub, tout est entièrement gratuit, il y a juste la possibilité de faire des dons. Est-ce que les gens en font ? Ou ça reste difficile ?

Oui nous recevons des donations, suffisament pour que les frais de fonctionnement du site soient couverts. On n’a pas vraiment besoin de plus en l’état puisque nous sommes tous·te·s bénévoles. Le surplus que l’on collecte nous sert à prendre des risques lors de l’organisation des lives.

Dans le passé tu as fondé une très grosse page Facebook  «Je ne peux pas vivre sans musique » (1,7 millions de fans) et par la suite une startup de rencontre musicale  «T’écoute quoi ? », tu as aussi travaillé chez Deezer en tant que chef produit pour finalement aujourd’hui prendre le chemin inverse : écrire un (excellent) livre, Déclic, sur la transition vers une technologie plus éthique qui se passe des startup, tu fais aussi partie du collectif IndieHosters qui propose une palette d’outils libre qui respectent la vie privée. Quel a été ton déclic (transition journalistique /10 ?) vers ce changement ?

Je ne parlerais pas de  «chemin inverse ». J’ai fais un pas de côté c’est clair, mais tout cela suit toujours la même logique pour ma part : ne pas refaire deux fois la même chose (la vie est trop courte pour ça), continuer de créer avec sincérité.

Dernièrement, en lisant  «Résister au désastre», de la philosophe Isabelle Stengers, cette interrogation m’a particulièrement marqué :  «Que peut-on fabriquer aujourd’hui qui puisse être éventuellement ressource pour ceux et celles qui viennent ? ».

Je crois que c’est mon souci de répondre à cette problématique qui m’anime de plus en plus.

Enfin j’aimerais préciser que tout ceci n’est jamais le fruit d’un travail solitaire mais se nourrit de nombreuses rencontres. Je profite donc de cet interview pour remercier chaleureusement toutes les personnes qui participent et ont participé de près ou de loin à ces projets.

« cette interrogation m’a particulièrement marqué : Que peut-on fabriquer aujourd’hui qui puisse être éventuellement ressource pour ceux et celles qui viennent ? »« 

MailTape parle à des passionnés de musique ou en tout cas à des personnes qui aiment la musique, c’est aussi un projet qui est certifié sans traceur, et sans pub. C’est plutôt rare de voir un projet qui n’est pas dans la thématique du libre (ou affilié) de mettre en avant le respect de la vie privée et de l’attention. Je me demandais comment votre public réagissais par rapport à ces valeurs affichées ? Vous avez des retours ?

Pas de retours à ce propos à ma connaissance, si ce n’est le tien ici 🙂

Parfois, en tant que créateur, j’ai l’impression que c’est difficile de bien faire. De proposer un projet avec une technologie éthique, qui respecte au maximum la vie privée des personnes, leur attention…
Souvent on se trouve pris en otage par des services tiers ou à devoir faire des bricolages pour arriver à une solution la plus clean possible.
Est-ce que c’est ton sentiment aussi ? Comment tu gères ça ?

Oui on bricole, mais c’est bien de bricoler non ? Je crois qu’on ne perd jamais son temps à tenter de faire chaque fois un peu mieux. Au mieux ça marche, au pire on a appris de nouvelles choses qui nous serviront peut-être plus tard.

Côté MailTape, l’an dernier on a dégafamisé l’aspect administratif et communication de l’asso. Grâce au génial travail des copain·ine·s de Yunohost, j’ai pu mettre en place facilement un serveur avec un Nextcloud et Talk et ça fait le job. Y’a encore Trello à migrer. Et côté MailTape, on a quelques dépendances encore avec AWS (S3 et SES) dont j’aimerais me passer lorsque le temps me le permettra (mais c’est pour bientôt, ça me démange de plus en plus).

Vous êtes très indépendant avec MailTape, pas de contrats publicitaire à remplir, pas d’investisseurs à faire plaisir… Qu’est-ce que tu pourrais donner comme conseil à une personne qui veut lancer un projet avec la même indépendance ?

Cette indépendance est clairement liée au fait que nous sommes tous·te·s bénévoles. Si la MailTape rémunérait nos contributions, ce ne serait sûrement pas la même histoire. Je ne dis pas que ce n’est pas possible de parvenir à établir une activité éthique et indépendante qui puisse te nourrir à la fin du mois. Quelque part, c’est l’histoire que l’on tente d’écrire chez IndieHosters. En bref, chaque projet a ses particularités, il n’y a pas de recette magique.

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